Une litanie d'offices - 3) Les jours saints

Le Jeudi Saint était le jour le plus surchargé de l'année, car c'était la course aux indulgences.   Il s'agissait pour chacun de ramasser et vitement des trésors pour le ciel.  En effet, autant que l'on visitait des églises où le reposoir était exposé dans un jardin de fleurs sur l'autel, autant on gagnait des indulgences.  Les personnes âgées qui ne pouvaient se déplacer pouvaient sortir de leur église par une porte et entrer par l'autre porte sans avoir à parcourir les églises de la ville : elles obtenaient le même mérite.  C'était presque une fête joyeuse du printemps.

Ce va-et-vient de tous les paroissiens de Montréal se faisait à pied et les rues étaient encombrées de monde.  Oui, c'était presque une fête puisque la plupart des gens étrennaient alors leur toilette printanière et l'on souhaitait que tous remarquent le chapeau de paille flambant neuf et le nouveau costume qui, croyait-on, allaient si bien à chacun.  Le fait aussi de marcher en souliers sur les trottoirs déblayés de toute neige ou glace était un véritable plaisir.  Même si certain Jeudi Saint était assez froid, nul n'aurait songé à endosser encore son manteau d'hiver et ses grosses bottes.  Grand Dieu, non : on aimait mieux geler à mort, mais étrenner à tout prix sa toilette du printemps.  Quand à la piété de ce jour là, elle était au second plan pour certains...

Pour moi le Jeudi Saint était la fête religieuse préférée entre toutes.  C'est vrai que j'allais à l'église des Pères du Très-Saint-Sacrement qui était reconnue de toute la ville pour avoir le plus beau reposoir.  Il y avait tellement de monde dans l'église que tous les bancs de cette immense église étaient occupés ainsi que les trois jubés et cela du matin du Jeudi Saint jusqu'au lendemain.  De sorte que les gens qui arrivaient à tout instant circulaient en rond autour de l'église pour approcher de la nef remplie de fleurs superbes et pour se recueillir quelques instants devant le reposoir.  Mais cette ronde étant incessante, personne ne pouvait s'arrêter longtemps au pied de l'autel.  Si de temps à autre quelqu'un sortait d'un banc, tout de suite une autre personne prenait la place vide.  Et tout se passait dans un silence, dans un calme absolu : on aurait pu entendre soupirer un ange.  Je pouvais passer des heures et des heures à regarder la flamme des bougies et des cierges allumés en très grand nombre et mon âme troublée retournait sans cesse vers le Jardin des Oliviers du premier Jeudi Saint.  Il y avait une foule si compacte dans cette église ce soir-là que des policiers faisaient circuler les arrivants et veillaient à la sécurité de tous.

Le Vendredi Saint était pour moi le jour le plus triste et le plus long de toute l'année.  Souvent, il pleuvait en ce jour de la mort de Notre-Seigneur-Jésus-Christ comme si le ciel pleurait pour marquer la tristesse de ce jour saint.  C'était aussi un jour de jeûne : on ne mangeait que du pain sans beurre, un petit morceau de poisson ou un peu de macaroni au jus de tomate sans épices.  L'après-midi il y avait le long office du Chemin de la Croix du Vendredi Saint auquel on assistait en famille.  Aucune autre activité n'était permise en cette journée de pénitence.

Puis, c'était le Samedi Saint et déjà tout le monde était joyeux.  Même les chevaux participaient à la joie de Pâques en portant fièrement  sur leur tête des fleurs roses, jaunes et mauves en papier crêpé.  Tout à coup,  le monde restait figé sur place.  Celui qui marchait restait un pied en arrière, l'autre pied en avant.  Celui qui mangeait s'arrêtait net de mâcher, la fourchette suspendue.  Celui qui chantait restait pris sur sa note.  Et tout le monde tendait l'oreille.  Mais oui, semblait-il dire, j'ai bien entendu, c'est cela!  Les cloches reviennent de Rome, les cloches sont arrivées!  Et les petits enfants rentraient en courant à la maison en criant : "Maman, maman, grand-maman, les cloches arrivent, les cloches sont arrivées!"  Alors la maman laissant là son chaudron sur le bout du poêle à bois et la grand-mère laissant son tricot s'avançaient vitement sur le seuil de la porte pour entendre les cloches.  "Ah! les cloches!" disait grand-maman en s'essuyant les yeux.  On profitait de l'occasion pour se saluer entre voisins et tout le monde reprenait le goût de vivre.  

Enfin, c'était le matin radieux de Pâques.  L'église décorée de fleurs et de banderoles aux couleurs vives accueillait tous ses paroissiens réjouis.  Les officiants de la messe avaient revêtu leurs plus beaux habits sacerdotaux, ainsi que les petits enfants de choeur avec leur soutane rouge garnie de satin de la même couleur et leur surplis empesé et orné de dentelle.  La chorale chantait des hymnes d'allégresse et encore une fois une belle fête religieuse avait réconforté tous les Catholiques. Il en était ainsi dans toutes les église du Québec et d'ailleurs à travers le monde.

Lorraine Nacké

JOYEUSES PÂQUES À TOUS.  JOYEUX PRINTEMPS ET VIVE LE RETOUR DU BEAU TEMPS QUI RAMÈNE LES JOURNÉES ENSOLEILLÉES ET PLUS CHAUDES.