Le trottoir à Lucien, ce cher Lucien.

Genealpha a écrit:Durant les années cinquante, le clergé avait le contrôle partout et pour tout.  Les religieuses désiraient ardemment que je fréquente l'école dès l'âge de quatre ans.  Elles m'estimaient trop intelligente pour demeurer à la maison malgré mon jeune âge, ce que mes parents refusèrent sur le champ.  Mes parents avaient comme philosophie, qu'un enfant doit vivre sa vie purement et simplement sans rien contourner.
  À la même période, j'imagine que ça devait être à l'occasion d'un anniversaire ou de la "Saint-Valentin" ; maman, un petit bout de femme fragile avait dû préparer un beau gâteau et vouloir y déposer la petite figurine qu'elle avait conservée de son gâteau de noces.  Elle me contait qu'elle avait gardé ce qui restait de ce mémorable gâteau puisqu'il était entièrement séché et durci.  Elle était loin de se douter que les souris feraient la fête et la départiraient de ce souvenir.  Ma mère avait pris soin de le placer dans la "shed" à l'arrière de la cuisine.  Et, ce jour là elle a eu la mauvaise surprise de découvrir qu'il ne restait que sa petite figurine.  Je me revois très bien, riant à gorge déployée et me moquant du fait qu'elle s'était fait jouer un vilain tour.  Je lui ai dit : «Maman, elles t'ont laissé juste tes mariés».
 Ma soeur et moi devions avoir respectivement trois et cinq ans, nous nous amusions à fureter chez les voisins.  Un homme coupait le cou des poules dans sa cave, c'était un spectacle auquel nous assistions tous les jours durant l'été.  Et, sans se poser de questions plus que cela, nous allions regarder par les fenêtres de l'atelier où on réparait des matelas, du côté ouest...   Jusqu'au jour où le propriétaire de cette entreprise eût la brillante idée de faire à la devanture de son magasin un beau plancher "tout en ciment".
  Pour nous, à l'époque, ce n'était qu'un vulgaire trottoir.  Un trottoir donc, dis-je bien, c'est pour marcher dessus.  Nous sommes donc allées laisser nos empreintes dans le ciment frais que nous pouvions apercevoir encore, il y a quelques années, ne pensant guère qu'il fallait attendre qu'il soit sec pour marcher dessus.
 Je revois très bien, le propriétaire de l'immeuble sortir en nous expédiant hors de son "beau trottoir" que nous venions d'abîmer de nos quatre empreintes de pieds.  Il hurlait à notre mère : « Gardez vos enfants chez vous, vous ne vous rendez pas compte qu'elles ont brisé ma devanture de magasin ».  Nous nous retrouvions quelque peu effrayées, c'était tellement dérisoire que ça provoqua sur nous un fou rire le communiquant à maman qui s'esclaffait.  Elle nous gronda un peu, nous expliquant qu'il fallait attendre que le ciment soit bien sec avant de s'y promener.  Pauvre "Lucien" il a dû certainement nous en avoir gardé rancunes pour un bon petit bout de temps.  De ce que je me rappelle, il avait un caractère plutôt "soupe au lait".  Ce souvenir sera pour nous en constituera un d’hilarant.