Les amusements d'hiver en 1920

Autrefois les amusements étaient sains et simples.  Il était tout à fait normal en ce temps-là de voir partir toute une famille pour aller glisser en traîne sauvage sur les pentes douces du parc Lafontaine.  Les enfants plus âgés et plus intrépides se rendaient seuls sur les pentes abruptes de la montagne étincelante l'après-midi du samedi.  Et les jeunes gens, déjà tourmentés par les feux de l'amour, se rendaient le soir glisser au clair de lune avec leur promise emmitouflée de lainage multicolore.  La montagne était féerique dans la nuit bleutée.

Les parents d'autrefois s'occupaient plus facilement de leur progéniture que les parents affairés d'aujourd'hui.  Ainsi chez nous, nous étions toute une ribambelle d'angelots âgés de cinq à dix ans et nos parents, insouciants des arias que cela devait susciter, nous sortaient à toute occasion.

Ainsi le dimanche après-midi, nous nous préparions à partir.  Toute l'affaire était d'habiller chaudement tout ce petit monde.  Gilet de laine, grands bas de laine, mitaines, tuque, tourmaline qu'on ne finissait plus d'enrouler autour du cou.  Tout ce lainage avait été tricoté avec tendresse par ma tante Bine assise dans sa chaise berçante près du poêle à bois à Sainte-Thérèse.  Elle faisait le voyage par le train pour venir nous apporter tous ces trésors que nous apprécions beaucoup.  Donc, une fois habillés et presque disparus sous tant de vêtements, nous avions l'air de petits fantômes chancelants dans la neige abondante.  Il n'était pas question de prendre le tramway.  La plupart du monde "marchait encore" en ce temps-là, même pour une assez longue distance, car le billet de tramway  - "les p'tits chars" -   coûtait quatre sous. Pensez-y!


On arrivait au parc Lafontaine sans avoir rien vu, nous les petits, car en ce temps-là il y avait tellement de neige chaque côté du trottoir qu'on ne voyait pas l'autre côté de la rue.  C'était donc comme si on marchait dans un couloir de neige!  Rendus au pays des neiges, nos parents choisissaient prudemment la pente propice aux enfants.  Simonne, l'aînée, s'asseyait toujours la première en avant, ensuite venaient s'entasser sur la traîne sauvage, Françoise, Louise et Lorraine.  Toutes les petites filles assises et bien cordées, notre mère faufilait entre deux comme un fagot oublié Jean-Paul le bébé de la famille, avec mille recommandations de le tenir bien serré.  

Après s'être amusés joyeusement et avant d'être complètement gelés, nous écoutions bien à regret notre mère qui donnait le signal du départ.  Nous revenions.  Tout le long du parcours, les petits l'un après l'autre finissaient tous par tomber assis dans la traîne.  Mon père, vigoureux et jeune encore, traînait avec sérénité ce lourd fardeau de bonheur.  Rendus à la maison, notre mère nous déshabillait et étendait notre linge poudreux de neige sur les écrans de tôle derrière le poêle à bois et derrière la fournaise.  Ensuite tout le monde attendait impatiemment un excellent souper.  Vers les huit heures, tous ces petits lutins se couchaient et ma mère baissait la lampe à l'huile.  Peu à peu le sommeil emportait les enfants dans un doux rêve de tourbillons de neige.

Lorraine Nacké