L'animation des rues, 1915-1925 - 2) La voiture "des ciseaux" et autres voitures

2) La voiture "des ciseaux" et autres voitures.

Que j'aimerais encore entendre la cloche de la voiture "des ciseaux".  C'était une belle voiture haute, peinturée en vert et en jaune avec sur le toit une cloche et une cheminée pour l'hiver.  

Sur les côtés de la voiture, on pouvait admirer des images coloriées.  Des ciseaux, des scies, des couteaux, des parapluies étaient dessinés en couleurs : pour les enfants de ce temps-là, c'était "beau à voir".  Dès qu'on entendait la cloche tinter au loin, c'était l'affolement dans toutes les maisons.  Vite, vite, les enfants! le couteau à pain à aiguiser, les ciseaux!  Et après mille recommandations de faire bien attention en revenant - "surtout pas courir" - avec les ciseaux et les couteaux fraîchement aiguisés, notre mère donnait l'argent, deux cinq cents, qu'il ne fallait surtout pas perdre.  Moi, pendant que l'aiguiseur faisait son travail, je regardais le cheval et je lui parlais en moi-même.  J'avais huit ans.

Mais ce qui a été la grande peur de toute ma vie d'enfant, c'était la charrue avec le cheval sur le trottoir.  Rien ni personne, ne pouvait me raisonner.  J'en avais une peur bleue.  Allez donc chercher pourquoi.  C'était en 1922.  Ce que j'aimais par ailleurs, c'était la voiture de l'épicier.  Toujours de couleur rouge et très basse, on pouvait voir les boites de provisions que le commis pouvait prendre facilement.  Il allait, après avoir attaché la patte du cheval avec une rondelle de fer noir, porter la commande soit chez Mme Gauthier, Mme Lalonde ou chez-nous.  On avait hâte de déballer les provisions pour prendre chacun un biscuit, juste un..., il n'était pas question d'en prendre deux ou trois.  Juste un! et on était content.

Ce qui m'impressionnait quand j'étais petite, c'était la voiture de la poste.  Je ne sais trop pourquoi.  Peut-être parce que le cheval passait toujours en courant et je demandais à ma mère de me dire ce qui était écrit dans les lettres qui gonflaient un gros sac de toile.  Une simple d'esprit, faut croire que j'étais!  Faut dire que c'était en 1919.  Je me souviens très bien de la voiture du STAR et de La Presse.  Dès qu'on la voyait passer, ma mère nous donnait deux sous et on courait à l'épicerie du coin acheter La Presse.  

Ah! mon Dieu, j'oubliais de parler de la voiture du déblaiement de la neige.  C'était un long traîneau sur lequel était une longue boite faite en planches non peinturées et traîné par deux gros chevaux.  Deux hommes par voiture enlevaient la neige avec une grosse pelle sur le bord du trottoir.  il y avait assez de neige dans ce temps-là que bien souvent on ne voyait pas l'autre côté de la rue.  Quand il y avait une grosse chute de neige, les hommes travaillaient la nuit par des froids terribles et souvent on les entendaient travailler et  crier et commander aux chevaux.  Je me trouvais privilégiée de m'endormir chaudement, tandis que ces pauvres hommes et ces pauvres chevaux étaient dehors.  

Et on ne saurait oublier la voiture de Molson tirée par d"énormes chevaux que personne n'osait approcher.  Mais qu'ils étaient beaux à regarder.    Si la charrue des trottoirs me faisait peur, qu'est-ce à dire des pompiers?  C'était pour moi tout simplement la terreur.  Je n'aimais pas beaucoup non plus la voiture du guenillou.

Lorraine Nacké